Guerre à Gaza : comment les colons juifs profitent du conflit pour confisquer davantage de terres en Cisjordanie - BBC News Afrique (2024)

Dans le village palestinien de Battir, où les anciennes terrasses sont irriguées par une source naturelle, la vie continue comme elle l'a fait pendant des siècles.

Battir, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, est connu pour ses oliveraies et ses vignobles. Mais c'est aujourd'hui le dernier foyer de tension concernant les colonies en Cisjordanie occupée.

Israël y a approuvé une nouvelle colonie juive et a confisqué des terres privées pour y construire de nouvelles maisons de colons. De nouveaux avant-postes ont également été créés sans même l'autorisation d'Israël.

« Ils volent nos terres pour construire leurs rêves sur notre catastrophe », déclare Ghassan Olyan, dont la propriété fait partie de celles qui ont été confisquées.

L'Unesco s'est inquiétée des projets de colonisation autour de Battir, mais le village est loin d'être un exemple isolé. Toutes les colonies sont considérées comme illégales au regard du droit international, bien qu'Israël ne soit pas d'accord.

« Ils ne se soucient ni du droit international, ni du droit local, ni même de la loi de Dieu », déclare M. Olyan.

La semaine dernière, le chef du renseignement intérieur israélien, Ronen Bar, a écrit aux ministres pour les avertir que les extrémistes juifs de Cisjordanie commettaient des actes de « terreur » contre les Palestiniens et causaient des « dommages indescriptibles » au pays.

Depuis le début de la guerre à Gaza, la croissance des colonies en Cisjordanie occupée s'est accélérée.

Les extrémistes du gouvernement israélien se vantent que ces changements empêcheront la création d'un État palestinien indépendant.

On craint également qu'ils ne tentent de prolonger la guerre à Gaza pour atteindre leurs objectifs.

Yonatan Mizrahi, de Peace Now, une organisation israélienne qui surveille l'expansion des colonies, estime que les extrémistes juifs de Cisjordanie exacerbent une situation déjà tendue et volatile, rendant plus difficile que jamais la fin du conflit israélo-palestinien.

M. Mizrahi estime qu'un « mélange de colère et de peur » dans la société israélienne après les attentats du 7 octobre, qui ont fait 1 200 morts, pousse les colons à s'approprier davantage de terres, sans que la population israélienne dans son ensemble ne se pose de questions.

« Je pense que c'est extrêmement dangereux », déclare-t-il. « Cela accroît la haine des deux côtés.

Selon un sondage réalisé en juin par le Pew Research Center, 40 % des Israéliens pensent que les colonies rendent le pays plus sûr, contre 27 % qui pensaient la même chose en 2013. D'autre part, 35 % des personnes interrogées ont déclaré que les colonies nuisaient à la sécurité d'Israël, contre 42 % en 2013.

Mizrahi craint que les extrémistes juifs de Cisjordanie n'exacerbent une situation déjà tendue et volatile, rendant toute solution au conflit israélo-palestinien plus difficile que jamais : « Je pense que c'est extrêmement dangereux, cela accroît la haine des deux côtés ».

Depuis le début de la guerre, la violence des colons à l'encontre des civils palestiniens en Cisjordanie s'est accrue.

Elle était déjà en hausse, mais au cours des dix derniers mois, les Nations unies ont recensé environ 1 270 attaques de colons contre des civils palestiniens, contre 856 pour l'ensemble de l'année 2022.

Selon l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem, au cours de la même période, le harcèlement des colons israéliens a forcé les Palestiniens à quitter au moins 18 villages de Cisjordanie, le territoire palestinien situé entre Israël et la Jordanie qui a été capturé par Israël lors de la guerre de 1967 et qui est resté sous occupation depuis lors.

Entre le 7 octobre et août 2024, 589 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie : au moins 570 ont été tués par les forces israéliennes et au moins 11 par des colons, selon l'ONU.

Parmi eux figuraient des personnes soupçonnées d'avoir planifié des attaques, ainsi que des civils non armés. Au cours de la même période, les Palestiniens ont tué cinq colons et neuf membres des forces de sécurité israéliennes.

Cette semaine, un Palestinien de 40 ans aurait été abattu après l'entrée de colons et de soldats israéliens dans le village de Wadi al-Rahhel, près de Bethléem. L'armée israélienne a déclaré que des pierres avaient été jetées sur un véhicule israélien qui se trouvait à proximité.

Le mois dernier, un Palestinien de 22 ans a été tué lorsque des dizaines de colons ont envahi le village de Jit, ce qui a suscité une condamnation internationale. Les forces de sécurité israéliennes ont procédé à quatre arrestations et ont qualifié l'incident d'« acte terroriste grave ».

Mais le bilan de ces affaires est celui d'une impunité quasi-totale. Le groupe israélien de défense des droits civils Yesh Din a révélé qu'entre 2005 et 2023, seules 3 % des enquêtes officielles sur les violences commises par les colons ont abouti à une condamnation.

Dans la lettre de Ronen Bar, qui a été divulguée aux médias israéliens, le chef du service de sécurité israélien Shin Bet note que les colons radicaux ont été enhardis par cette main molle dans l'application de la loi.

« Extrêmement dangereux »

Les colons vivent dans des communautés exclusivement juives établies dans certaines parties de la Cisjordanie.

De nombreuses colonies bénéficient du soutien juridique du gouvernement israélien ; d'autres, connues sous le nom d'avant-postes, souvent constituées d'éléments aussi simples que des caravanes et des cabanes en tôle ondulée, sont illégales, même au regard du droit israélien.

Mais les extrémistes les construisent quand même pour tenter de s'emparer de plus de terres.

En juillet, lorsque la plus haute juridiction des Nations unies a jugé pour la première fois que l'occupation israélienne de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, était illégale, elle a déclaré qu'Israël devait cesser toute activité de colonisation et se retirer de la Cisjordanie dès que possible.

Les alliés occidentaux d'Israël ont à plusieurs reprises décrit les colonies comme un obstacle à la paix.

Israël a rejeté la décision et a déclaré : « Le peuple juif n'est pas un occupant de sa propre terre.

On craint aujourd'hui que les extrémistes ne s'emploient à rendre irréversibles les implantations en Cisjordanie.

Ils ont rapidement étendu leur contrôle sur le territoire, avec le soutien du gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël.

Ces extrémistes poussent à des plans d'annexion de la Cisjordanie et appellent aussi ouvertement à la colonisation de Gaza une fois la guerre terminée. Les colons sont désormais au cœur du gouvernement israélien, dans des ministères clés.

Alors que les dirigeants mondiaux hostiles à la colonisation expriment un regain d'enthousiasme pour une solution à deux États - un plan de paix attendu depuis longtemps qui créerait un État palestinien séparé - les nationalistes religieux israéliens, qui estiment que toute cette terre appartient légitimement à Israël, jurent de rendre impossible le rêve d'un État palestinien indépendant.

Les analystes estiment que c'est la raison pour laquelle certains hommes politiques refusent d'accepter tout accord de cessez-le-feu.

« La raison pour laquelle ils ne veulent pas mettre fin au conflit ou parvenir à un accord sur les otages est qu'ils pensent qu'Israël devrait continuer à se battre jusqu'à ce qu'il soit possible de rester à l'intérieur de Gaza », explique Tal Schneider, correspondant politique du Times of Israel.

« Ils pensent qu'à long terme, leur idéologie est plus juste », ajoute-t-il. « C'est leur propre logique.

Entre-temps, les autorités israéliennes ont annoncé des plans pour la construction de cinq nouvelles colonies en Cisjordanie, dont Battir, et ont déclaré une superficie record de terres, d'au moins 23 kilomètres carrés, pour l'État d'Israël.

Cela signifie qu'Israël considère cette zone comme une terre israélienne, qu'elle se trouve dans les territoires palestiniens occupés ou qu'elle soit la propriété privée de Palestiniens, ou les deux. Et les Palestiniens ne peuvent pas l'utiliser.

En modifiant les faits sur le terrain, comme le prétendent les colons, ils espèrent déplacer suffisamment d'Israéliens dans les colonies et ériger suffisamment de bâtiments pour rendre leur présence irréversible. À long terme, ils espèrent qu'Israël annexera officiellement le territoire.

Outre les confiscations de terres autorisées par l'État, les extrémistes n'ont pas tardé à établir des avant-postes.

Dans l'un d'eux, situé à al-Qanoub, au nord d'Hébron, des images satellite ont montré que de nouvelles caravanes et de nouvelles routes étaient apparues au cours des mois qui ont suivi le début de la guerre. Dans le même temps, une communauté palestinienne entière a été expulsée de ses terres.

Nous nous sommes rendus à Al Qanoub avec Ibrahim Shalalda, 50 ans, et son oncle Mohammed, 80 ans, qui nous ont raconté que leurs maisons avaient été détruites par des colons en novembre dernier.

Alors que nous approchions, un colon extrémiste a bloqué la route avec sa voiture.

Peu après, des Israéliens armés sont arrivés et nous ont arrêtés pour des contrôles. Le groupe comprenait des soldats de l'armée israélienne portant des badges sur leurs uniformes et l'un d'entre eux s'est présenté comme un agent de sécurité de la colonie.

Le garde de la colonie a forcé les deux agriculteurs palestiniens à sortir de la voiture et les a fouillés. Au bout de deux heures, les soldats israéliens ont dispersé les colons et autorisé la voiture de la BBC à partir.

Israël a commencé à coloniser la Cisjordanie peu après l'avoir prise à la Jordanie et l'avoir occupée il y a plus de cinq décennies. Depuis lors, les gouvernements successifs ont autorisé l'expansion progressive des colonies.

Aujourd'hui, on estime que trois millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie - à l'exclusion de Jérusalem-Est annexée par Israël - ainsi qu'environ un demi-million de colons juifs qui habitent plus de 130 colonies.

Mais une figure de proue du gouvernement d'extrême droite qui a pris ses fonctions en 2022 promet de doubler le nombre de colons pour le porter à un million.

Bezalel Smotrich estime que les Juifs ont un droit divin sur cette terre. Il fait partie de l'un des deux partis d'extrême droite favorables aux colons que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a fait entrer dans sa coalition gouvernementale après les élections de 2022 qui l'ont ramené au pouvoir.

M. Smotrich est ministre des finances, mais il occupe également un poste au ministère de la défense, ce qui lui a permis d'apporter des changements radicaux aux politiques israéliennes en Cisjordanie.

M. Smotrich a permis un investissem*nt massif de fonds publics dans les colonies, ce qui a permis de financer de nouvelles routes et d'autres infrastructures.

Mais il a également créé une nouvelle bureaucratie en retirant des pouvoirs à l'armée pour accélérer la construction des colonies.

Dans des déclarations enregistrées secrètement à ses partisans, Smotrich s'est vanté d'œuvrer pour « changer l'ADN » du système et pour une annexion de facto qui serait « plus facile à accepter dans le contexte international et juridique ».

« Mission de ma vie»

Les nationalistes religieux sont restés en marge de la politique israélienne pendant des décennies.

Mais leur idéologie est progressivement devenue plus populaire. Lors des élections de 2022, ces partis ont remporté 13 sièges sur les 120 que compte le parlement israélien et sont devenus des figures influentes de la coalition de droite de M. Netanyahou.

Pendant la guerre, Bezalel Smotrich et son collègue radical Itamar Ben-Gvir, aujourd'hui ministre israélien de la sécurité nationale, ont à plusieurs reprises fait des commentaires qui aggravent les divisions sociales et provoquent les alliés occidentaux d'Israël.

Après l'arrestation par l'armée israélienne de réservistes accusés d'avoir agressé sexuellement un détenu palestinien, M. Ben Gvir a déclaré qu'il était « honteux » qu'Israël ait arrêté « nos meilleurs héros ». Ce mois-ci, M. Smotrich a suggéré qu'il pourrait être « justifié et moral » d'affamer les habitants de Gaza.

Mais c'est en Cisjordanie et à Gaza que l'extrême droite cherche à apporter des changements permanents.

« Il s'agit d'un groupe d'Israéliens qui se sont opposés à toute forme d'engagement avec les Palestiniens ou avec les autres voisins arabes d'Israël », explique Anshel Pfeffer, journaliste israélien chevronné et correspondant de The Economist.

Et avec la guerre à Gaza, l'extrême droite voit une nouvelle opportunité. M. Smotrich a appelé les résidents palestiniens à quitter le territoire et à laisser la place à des Israéliens qui pourraient « faire fleurir le désert ».

Bien que M. Netanyahou ait exclu de rétablir les colonies juives à Gaza, il s'appuie sur les partis d'extrême droite qui menacent de faire éclater sa coalition s'il signe un accord de cessez-le-feu « imprudent » visant à libérer les otages israéliens actuellement détenus par le Hamas.

La logique des extrémistes n'est peut-être suivie que par une minorité d'Israéliens. Mais elle contribue à prolonger la guerre et à transformer radicalement la réalité en Cisjordanie, compromettant à long terme les perspectives de paix.